Samedi 17 mars 2018 a eu lieu la conférence “Venir au monde entre nature et technologie” proposée dans le cadre des 20 ans du Centre Brazelton Suisse. C’était 4 jours après le décès du fondateur le Dr T. Berry Brazelton dont les travaux ont changé le regard porté sur la petite enfance, le bébé étant désormais considéré comme une personne à part entière. Accès au site du centre Brazelton et à sa page Facebook.
Nadia Bruschweiler-Stern, fondatrice et directrice du Centre Brazelton Suisse, a commencé la journée en rendant hommage au Dr T. Berry Brazelton: “un esprit curieux, charismatique, optimiste, ouvert et généreux.” Elle a rappelé qu’aujourd’hui les modes de vie sont souvent le fruit de non-choix, alors qu’il est important de penser, par exemple, à l’usage des technologies avant la naissance d’un enfant.
Animatrice de la journée, Isabelle Moncada (journaliste, présentatrice et productrice RTS), a salué en Nadia Bruschweiler-Stern une “fille de Berry Brazelton”.
Un article de la Tribune de Genève présente des informations en rapport avec le contenu de cette journée de conférence.
Ci-dessous quelques points abordés lors de cette journée, sélectionnés en fonction de leur rapport avec un usage réfléchi et épanouissant des écrans:
1. Un lien entre obésité et écrans?
Nathalie Farpour-Lambert, pédiatre et présidente de l’association européenne pour l’étude de l’obésité, constate une explosion de l’obésité infantile: 42 millions d’enfants de moins de 5 ans en excès de poids dans le monde. Elle explique que l’addiction au sucre serait plus puissante que l’addiction à la cocaïne, et elle constate que l’industrie du sucre investit des millards pour produire plus et pour faire la promotion de cette consommation en forte augmentation. Un des conseils présentés: « enfant de moins de 2 ans: pas de sucre ajouté et pas d’écran »
Nathalie Farpour-Lambert alerte: “Le temps passé devant les écrans est associé à l’augmentation de problèmes d’obésité.”
Une présentation en ligne comprend de nombreuses informations en rapport avec le développement de l’obésité, et notamment les 4 diapositives suivantes:
Les diapositives ci-dessus présentent:
- des enfants face aux écrans
- une personne adulte (rôle modèle?)
- une série de questions pour les adultes: en quoi leur comportement peut-il influencer celui des enfants?
- un graphique qui rappelle qu’un ensemble de facteurs doivent être pris en compte.
Reportage intéressant à propos de la production du sucre (RTS, Mise au point).
2. Trop de lumière artificielle?
Francine Behar-Cohen, ophtalmologue, a décrit les diverses qualités des lumières naturelles et artificielles; « La lumière du jour est parfaite » a-t-elle souligné. Des recherches indiquent un léger rapport entre le temps passé en plein air et la myopie, surtout pour les enfants de moins de 6 ans (et encore dans une moindre mesure jusqu’à 12 ans): plus un enfant passe de temps à la lumière du jour, moins il est susceptible de développer une myopie.
Une diapositive indiquait que l’incidence de la myopie a doublé en 25-30 ans. Les écrans figurent dans la liste des facteurs à prendre en compte, aux cotés de l’alimentation, des polluants, de la sédentarité, de la lecture et de la lumière.
En rapport avec la perception des rythmes circadiens (cycles biologiques durant environ un jour), Francine Behar-Cohen a souligné l’importance de la lumière bleue à laquelle nous sommes très sensibles: « les éclairages enrichis en lumière bleue avant le coucher perturbent les rythmes circadiens, les écrans aussi. » Par exemple, regarder un écran durant la nuit peut perturber un rythme circadien.
On trouve un même constat dans le document « Risques potentiels des nouveaux types d’éclairage pour les yeux des enfants »:
Les lampes de chevet à LED blanc froid peuvent entraver l’endormissement et modifier les rythmes générant des réveils difficiles et des fatigues matinales.
3. « Les interactions précoces au risque des écrans », par Serge Tisseron
Le psychiatre de renom a mentionné des constats et questionnements majeurs en rapport avec l’usage d’écrans pendant la petite enfance.
Son blog propose un contenu riche et actualisé en rapport avec ses recherches et conseils.
D’emblée Serge Tisseron pose des questions qui touchent à des habitudes dont nous ne mesurons sans doute pas toujours la portée potentielle. Exemple avec maman et papa qui donnent l’impression de s’intéresser plus à leur smartphone qu’à leur bébé. Comment cela peut-il peser sur le lien d’attachement?
L’exemple d’une campagne d’affichage a été cité: « combien de fois avez-vous regardé votre enfant aujourd’hui? ». Article intéressant à ce propos dans le Nouvel Obs. La campagne menée en Allemagne pour questionner certaines habitudes familiales vaut le détour.
Bébé recherche le contact visuel. Si l’adulte concentre son attention visuelle sur un écran, le message induit pourrait être que le contenu de cet écran est important et attractif. Plus tard, l’enfant peut considérer l’écran comme une forme de refuge habituel contre le sentiment d’abandon.
Ci-dessous 10 diapositives au contenu très important à prendre en compte pour gérer au mieux les différents écrans, de 0 à 12 ans (mais sans doute aussi avant et après):
Voici encore quelques perles présentées par Serge Tisseron, à méditer, discuter et faire connaître:
- être devant un écran, c’est utiliser le sens de la vue et celui de l’ouïe; pour se développer harmonieusement, l’humain doit utiliser ses 7 sens: vue, ouïe, toucher, odorat, goût, équilibration (gestion du mouvement) et la cénesthésie (perception de son corps) (une présentation des 7 sens disponible ici);
- l’enfant a besoin de se concentrer pour construire sa capacité de concentration (idem pour l’adulte, au moment de la première leçon pratique d’auto-école par exemple): des petits jeux spontanés sont très importants pour bébé, qui doit pouvoir rester concentré sur un même objet, afin de pouvoir le faire par la suite dans des situations plus complexes;
- apprendre à entasser des cubes soi-même ou voir des cubes entassés sur un écran: ce n’est pas la même chose, que choisir et quand?
- en France les carnets de santé incluent le conseil de ne pas laisser de télévision allumée dans la pièce où se trouve un bébé;
- le temps passé avec les écrans peut réduire le temps disponible pour des interactions entre personnes; or ces moments sont importants pour apprendre à identifier des mimiques et des émotions, faire preuve d’empathie, gérer la relation à l’autre; un risque de repli est induit, de même que le sentiment d’être agressé.e;
- métaphore alimentaire: souvent les parents règlent les heures de repas et veillent à réduire le grignotage entre temps; quels horaires prévoir pour les écrans?
- on n’éduque bien que par l’exemple: que font les adultes avec qui les enfants vivent? comment gèrent-ils les écrans?
- les écrans peuvent donner lieu à de bons échanges oraux; il est important d’aider l’enfant à parler de ce qu’il a vu, car cela exerce sa capacité à la narrativité (savoir raconter, construire une histoire avec un avant, un pendant et un après);
- les écrans ne sont pas un problème en soi; le fait de s’enfermer dans une activité compulsive est un problème potentiel;
- encourager à l’autorégulation: discuter le temps pour les écrans avec les enfants, leur apprendre à attendre, à différer l’usage d’un écran;
Pour conclure, des conseils très pratiques:
Et une activité à recommander chaleureusement: le jeu des trois figures.
4. « Premières relations, savoirs implicites et formes de vitalité »
Nadia Bruschweiler-Stern a souligné la complexité de la communication dans le développement humain. Elle s’est notamment appuyée sur le livre de Daniel Stern « Les formes de vitalité » pour mettre en lumière l’importance de se consacrer à une relation interpersonnelle, faite de « petites choses »: un glissement de regard, un changement infime, un petit geste.
Question: comment une personne qui en observe une autre perçoit-elle ses sentiments? Les mouvements humains transmettent beaucoup d’éléments à prendre en compte. Chaque mouvement a un début, une durée, une fin, et il s’inscrit de façon spécifique dans l’espace.
La vie sociale est faite de moments d’échanges fondamentaux. Les bébés ne devraient pas se retrouver isolés. De terribles constats ont été fait dans des orphelinats par le passé. De grandes questions doivent se poser en rapport avec l’usage non adéquat d’écrans de nos jours.
Une forme fondamentale d’échanges entre humains se fait par le sourire. Extrait du livre « L’intelligence du corps » de Ingrid Auriol, qui cite Daniel Stern:
5. « Oser sa voix avec son enfant! », par Jessica Comeau
Exemples pratiques de belles interactions, en dehors des écrans, entre adulte et bébé (puis enfant). Un fort encouragement à utiliser sa voix pour entrer en relation, et à aider l’autre à faire de même. Cette « voix qui permet le contact, qui relie, qui rassure, qui console, qui fait rire. »
“Votre voix contient des kilos de sécurité pour le petit, et pour l’adulte, pour toute relation avec quelqu’un en face à face.”
Présentation de l’oratrice:
Propositions pratiques:
6. « Les représentations de soi, nature ou technologie », par Boris Cyrulnik
Le psychiatre et psychanaliste Boris Cyrulnik a rappelé que l’acquisition du langage est une plaque tournante pour le bébé. Vers 20 mois, l’explosion du langage fait débarquer bébé dans le monde des représentations invisibles et des récits, et lui ouvre la possibilité d’entrer dans le monde mental de l’autre. « En 10 mois, bébé apprend toute langue maternelle, sans livre, sans école ou organisation institutionnelle, avec l’accent, donc avec mémoire du corps. »
En marge de ce qui a été présenté, on pourrait se demander dans quelle mesure ce que bébé entend à travers divers écrans et autres systèmes qui diffusent du son peuvent jouer un rôle dans cette phase majeure d’apprentissage.
La présentation de Boris Cyrulnik a permis de rappeler des fondamentaux du développement humain et de la vie en société. Pour chacun des points ci-dessous, on pourrait se demander ce que l’usage d’écrans pourrait favoriser, ou au contraire restreindre ou empêcher:
- « notre cerveau est sculpté par nos rencontres, par nos relations »;
- “la pire des maltraitances est la négligence affective ou la carence affective”;
- « parler avec une personne, c’est établir avec elle un lien d’affection »;
- « le milieu façonne, sculpte le développement du cerveau ».